DÉPLACER
Le déplacement est crucial dans mon travail. Voilà l’homme dans sa plasticité, dans son cheminement vers je-ne-sais-quoi, l’horizon comme inaccessible étoile et des ciels si bas qu’un canal s’est pendu. Mais il faut avancer, c’est une évidence. Pas après pas, et voir du pays.
Le déplacement revient souvent chez moi. Au sens propre, ai beaucoup voyagé, travaillant au quatre coin du monde. Mais il est présent depuis le début dans mes expériences, éditoriale avec ce lecteur mobile suivant un parcours dans mon premier roman, policier, Vols de Flamands Roses, ou cet autre lecteur obligé de se déplacer s’il veut lire la phrase de 400m de long sur une plage du nord en 2013, ou encore de ces hommes et femmes en cordée portant le mot POÉSIE au sommet de Pyrénées pour le porter et le traduire au versant ibérique, sans parler des hommes cagoulés de Diction Directe portant lettres rouges la nuit… se déplacer.
Pour moi l’art se doit de déplacer. Se déplacer lui-même. Ou déplacer.
Souvent, l’artiste a besoin de déplacer des objets, pour les exposer, souvent laborieusement ( « BRING ART/ BORING ART » ), souvent gaiement, comme ici, à Brouckerque.
Ce déplacement est très rarement pris en compte, j’aime l’exposer. Montrer le cheminement lent pour reformer un mot à l’autre bout du village, montrer le chemin parcouru entre ces deux énoncés.
Ici, le récit photographique se tient entre le passage de ROUGE OàRGUE.
Et les images légendées si elles donnaient récit, donneraient ceci…
Ce jour-là, une grève de périscolaire m’amena une assistante, Iris, qui fit son premier stage transpalette et m’accompagna tout au long de ce déplacement. Nous nous fîmes rejoindre par une partie de l’équipe amicale du service technique de la ville de Brouckerque. Je dois vous avouer que je ne suis que peu de chose et que mon attention est souvent le fruit d’une série d’évènements qui ponctuent ma route et m’amènent à agir, ici prendre des photos, à l’instinct, librement, essayant d’attraper cette narration qui m’échappe. Autrement.
Sans trop vouloir la contrôler.
Appelez-ça le buissonnier.
Pour faire une photo du « O » devant le presbytère, par exemple, je prends du recul et, lumière du jour, celle là précisément, de l’instant même, me fait découvrir, sous un autre jour, le petit calvaire niché sous les arbres.
« Ecce ».
Inscrit depuis des lustres dans ce paysage, juste ce mot. « Ecce ». Et cette petite toile d’araignée. Qui sauva Mahomet. Sous le bras du Christ. « Ecce ».
Ô mot!
L’attention au rouge est exacerbée par le déplacement, on ne voit que ça, les géraniums là-bas. Pointe rouge. Alors amener une lettre pour faire un fond. Rouge sur rouge. observer les rayons du soleil à travers les arbres, contempler.
Lorsque l’on veut, on peut se laisser prendre par l’annexe, l’accessoire, l’autour. Autours aussi sans doute.
Cette antenne parabolique n’est prise qu’un court instant après le O, tout aussi ronde, dont je suis encore sous l’emprise de la forme, je vois des « O », sa forme, exactement comme lorsque cette ombre de lettre ouvre sur le macadam le passage à un rai de lumière avec lequel je peux jouer. Passer du « O » à un oeil se fermant, cela me parle, me murmure des choses qui pour moi font sens, je place là mon rôle d’artiste, cette fonction d’attrapeur de bazar à partager qui font sens ou sensation.
N’est pas dit « sensationnel ».
Non, juste la sensation, de quelque chose. Qui se passe.
Ecce…
Ramasser des noisettes.
Les casser sur une vieille écluse.
Le vieux Tractolivre repéré, Iris s’y nourrit, pages toutes éblouies. Moi je fais mon choix et j’embarque quelques livres, que je vais lire et annoter, glisser un dessin et les replacer dans une autre bibliothèque de la communauté.
J’amène le « O », pour jouer avec le « L » du tracteur. De l’art Lo-tech. J’aurais du amener le « U ».
Pour « LU »
Iris lit. On remarque le nom de la rue. Rue des Iris. On lit aussi la réalité augmenté du panneau sur le presbytère, et sa photo actuelle, d’avant. Via, ( …), vita.
Je suis la voie, ( … ), la vie.
Les lettres rouges traversent le village, ralentissent la circulation, intriguent les passants, s’acheminent vers la médiathèque.
Tiens, en passant, un serpent.
Je repense à cette phrase attribuée à une nouvelle Eve disant:
« C’est pas la pomme que j’ai mangée. C’est le serpent!
…. On peut être heureux maintenant. »
Tout cela s’est passé entre deux mots, c’est fou le nombre de choses, pensées, pouvant se passer entre deux mots, là entre ROUGE et ORGUE…